Avant de commencerPrésentation historique

Paradoxe de Zénon

Voici le raisonnement que certains mathématiciens de la Grèce antique faisaient.
Le glorieux Achille étant en un point $A$ et sa cible en un point $B$. Lorsque Achille envoie une flèche, celle-ci parcourt la distance $AC$ où $C$ est le milieu du segment $[AB]$. Il lui reste encore une distance de $\dfrac{AB}{2}$ à parcourir. Ensuite elle parcourt la distance $CD$ où $D$ est le milieu du segment $[CB]$. Il lui reste encore une distance de $\dfrac{AB}{4}$ à parcourir… et ainsi de suite.
On « montre » ainsi que la flèche n’atteint jamais sa cible. Trouver l’erreur !!!

Pour expliquer correctement ce paradoxe, il suffit d’utiliser correctement le concept de limite. En effet, calculons la distance $d$ parcourue par la flèche :\[d=\frac{AB}{2}+\frac{AB}{4}+\frac{AB}{8}+\frac{AB}{16}+\dotsb=\frac{AB}{2}\left(1+\frac{1}2+\frac{1}{2^2}+\frac{1}{2^3}+\dotsb\right)\]Or, nous reconnaissons la somme des termes d’une suite géométrique de raison $\dfrac{1}{2}$ :\[\left(1+\frac{1}{2}+\frac{1}{2^2}+\frac{1}{2^3}+\dotsb+\frac{1}{2^n}\right)=\sum\limits_{k=0}^n{\left(\frac{1}{2} \right)}^k=\cfrac{1-{\left(\frac{1}{2}\right)}^{n+1}}{{1-\hphantom{(}\frac{1}{2}\hphantom{)}}^\hphantom{n+1}}=2\left(1-{\left(\frac{1}{2} \right)}^{n+1}\right)\]et donc, $\lim\limits_{n\to+\infty}\left(1+\dfrac{1}2+\dfrac{1}{2^2}+\dotsb+\dfrac{1}{2^n}\right)=2$. Ainsi :\[d=\frac{AB}{2}\times 2=AB.\]La flèche atteint bien la cible…

Naissance des limites

La notion de limite d’une suite $(u_n)$ quand $n\to +\infty$ ainsi que les notions de limite ou de continuité d’une fonction réelle en un point (ou à l’infini) ont exigé beaucoup d’efforts avant d’être définies rigoureusement. Elles restent assez confuses avant Cauchy (vers 1825) et Weierstrass (vers 1875) parce que l’on parle alors de « quantités évanouissantes » (qui disparaissent), de quantités infinitésimales (le calcul différentiel s’est d’ailleurs longtemps appelé Calcul Infinitésimal) ou « d’infiniment petits » qui ne sont pas nuls tout en étant quand même nuls à la limite. Aux premiers temps du calcul différentiel et intégral, c’est à dire au début du 17ème siècle, avec les travaux de Descartes, Fermat, Huygens, Pascal et Roberval en France, Grégoire de Saint-Vincent aux Pays-Bas, Cavalieri, en Italie, Barrow, Gregory et Wallis en Angleterre, puis plus tard vers la fin du siècle, avec les travaux de Newton et Leibniz (vers 1675), il y eut de nombreuses polémiques à ce sujet. En particulier, un évêque anglais, Berkeley, a dénoncé, dans une critique assez célèbre et virulente, les absurdités relatives à ces notions. Il écrit par exemple, à propos des « fluxions » (c’est à dire des dérivées) de Newton :

Et que sont ces fluxions ? Les vitesses d’accroissements évanescents. Et que sont ces mêmes accroissements évanescents ? Ce ne sont ni des quantités finies ni des quantités infiniment petites, pas même rien. Ne pourrions-nous les appeler les fantômes de quantités disparues ?

La notion de limite est exposée pour la première fois par le mathématicien anglais B.Robins (1735). Robins précise l’expression de Newton « premières et dernières raisons », en parlant de limites.
D’AlembertJean le Rond d’Alembert (16 novembre 1717, 29 octobre 1783) est un mathématicien et philosophe français. Il a participé (surtout pour les articles mathématiques) à la rédaction de l’Encyclopédie au côté de Denis Diderot. Ses travaux en Mathématiques ont porté sur les nombres complexes, les suites et séries, le calcul des probabilités., dans l’article « Différentiel » de L’Encyclopédie, vol. IV, 1754, présente la notion de limite comme la « vraie métaphysique du calcul différentiel ».La définition très précise de limite que l’on donne encore dans les cours remonte à Weierstrass, promoteur du « style des epsilons », style qui sera présenté et étudié en enseignement supérieur.

On dit qu’une grandeur est la limite d’une autre grandeur, quand la seconde peut approcher de la première plus près que d’une grandeur donnée, si petite qu’on la puisse supposer, sans pourtant que la grandeur qui approche, puisse jamais surpasser la grandeur dont elle approche ; en sorte que la différence d’une pareille quantité à sa limite est absolument inassignable.
Par exemple, supposons deux polygones, l’un inscrit et l’autre circonscrit à un cercle, il est évident que l’on peut en multiplier les côtés autant que l’on voudra ; et dans ce cas, chaque polygone approchera toujours de plus en plus de la circonférence du cercle, le contour du polygone inscrit augmentera, et celui du circonscrit diminuera ; mais le périmètre ou le contour du premier ne surpassera jamais la longueur de la circonférence, et celui du second ne sera jamais plus petit que cette même circonférence ; la circonférence du cercle est donc la limite de l’augmentation du premier polygone, et de la diminution du second.

  1. Si deux grandeurs sont la limite d’une même quantité, ces deux grandeurs seront égales entre elles.
  2. Soit A$\times $B le produit des deux grandeurs $A$, $B$. Supposons que $C$ soit la limite de la grandeur $A$, et $D$ la limite de la quantité $B$ ; je dis que C$\times $D, produit des limites, sera nécessairement la limite de $A\times B$, produit des deux grandeurs $A$ et $B$.

Ces deux propositions, que l’on trouvera démontrées exactement dans les institutions de Géométrie, servent de principes pour démontrer rigoureusement que l’on a l’aire d’un cercle, en multipliant sa demi-circonférence par son rayon (…).

La théorie des limites est la base de la vraie Métaphysique du calcul différentiel. $A$ proprement parler, la limite ne coïncide jamais, ou ne devient jamais égale à la quantité dont elle est la limite ; mais celle-ci s’en approche toujours de plus en plus, et peut en différer aussi peu qu’on voudra. Le cercle, par exemple, est la limite des polygones inscrits et circonscrits ; car il ne se confond jamais rigoureusement avec eux, quoique ceux-ci puissent en approcher à l’infini. Cette notion peut servir à éclaircir plusieurs propositions mathématiques.

Au 18ème siècle, Euler utilise beaucoup le calcul infinitésimal, mais ne s’intéresse pas beaucoup aux définitions rigoureuses des limites, étant déjà très occupé par ailleurs (ses oeuvres complètes remplissent plus de 80 gros volumes que l’on peut consulter facilement, si l’on peut dire, à la Bibliothèque Nationale de France). Vers la fin du 18ème siècle, avec Lagrange, Cauchy et Abel, le souci de rigueur commence à s’introduire. C’est seulement à la fin du 19ème siècle que Weierstrass donne les définitions encore utilisées actuellement.