Mise en garde à propos des notations
Soient $E$ et $F$ deux $\mathbb{K}$-espaces vectoriels. Il est indispensable que les ensembles de scalaires de $E$ et $F$ soient identiques.$E$ et $F$ sont munis de deux lois chacun (une interne et une externe) ; ces lois peuvent être les mêmes ou distinctes.
Le cas de lois distinctes sera la règle lorsque $E$ et $F$ seront distincts.
Pour faciliter les écritures, nous noterons par défaut de la même manière les deux lois internes de $E$ et $F$ : la notation sera « $+$ ».Nous noterons aussi de la même manière les deux lois externes de $E$ et $F$ : la notation sera « $\cdot$ ».
Il faudra faire attention lorsque nous noterons par exemple $u+v$ :
- Si $u$ et $v$ sont éléments de $E,+$ désignera la loi interne de $E$.
- Si $u$ et $v$ sont éléments de $F,+$ désignera la loi interne de $F$.
Dans un espace vectoriel on peut définir deux opérations : l’addition et la multiplication pour un scalaire. Les transformations linéaires entre espaces vectoriels conservent ces structures linéaires en fonction des critères énoncés ci-dessous.
Soient $E$ et $F$ deux $\mathbb{K}$-espaces vectoriels.
Une application $f$ de $E$ dans $F$ est dite linéaire si par définition elle vérifie les deux conditions suivantes :
- $\forall (u,v)\in E^2,\ f(u+v)=f(u)+f(v)$
- $\forall \alpha \in \mathbb{K},\ \forall u\in E,\ f(\alpha\cdot u)=\alpha\cdot f(u)$
La première condition implique que $f$ transforme la somme des vecteurs en la somme des images des vecteurs. La deuxième condition implique que $f$ transforme le produit d’un scalaire et d’un vecteur en le produit de ce scalaire et de l’image de ce vecteur.
$E=F=\mathbb{R}$ considéré comme un $\mathbb{R}$-espace vectoriel.
Soit l’application $f$ définie par : $\forall x\in \mathbb{R},\quad f(x)=3x$.
Montrer que $f$ est une application linéaire.
- Soient $x_1$ et $x_2$ deux vecteurs (éléments) de $\mathbb{R}$.\[f(x_1+x_2)=3(x_1+x_2)=3x_1+3x_2=f(x_1)+f(x_2)\]
- Soit $x$ un vecteur (élément) de $\mathbb{R}$ et soit $\alpha$ un scalaire (élément de $\mathbb{R}$).\[f(\alpha x)=3(\alpha x)=\alpha(3x)=\alpha f(x)\]
Ainsi, nous venons de démontrer que $f$ est une application linéaire.
$E=\mathbb{R}^2$ et $F=\mathbb{R}^3$ considérés comme des $\mathbb{R}$-espaces vectoriels avec les lois usuelles.
Soit l’application $f$ définie par : $\forall x\in \mathbb{R},\ f(x,y)=(x+y,2x-y,y)$.
Montrer que $f$ est une application linéaire.
- Soient $u=(x_1,y_1)$ et $v=(x_2,y_2)$ deux vecteurs (éléments) de $E$.\[\begin{align*}f(u+v)&=f\bigl((x_1+x_2,y_1+y_2)\bigr) \\&=(x_1+x_2+y_1+y_2,2x_1+2x_2-y_1-y_2,y_1+y_2) \\ &=(x_1+y_1,2x_1-y_1,y_1)+(x_2+y_2,2x_2-y_2,y_2) \\&=f(u)+f(v) \\ \end{align*}\]
- Soit $u=(x,y)$ un vecteur (élément) de $\mathbb{R}$ et soit $\alpha$ un scalaire (élément de $\mathbb{R}$).\[f(\alpha u)=f((\alpha x,\alpha y))=(\alpha x+\alpha y, 2\alpha x-\alpha y,\alpha y)=\alpha f(u).\]
Ainsi, nous venons de démontrer que $f$ est une application linéaire.
$E=F=\mathbb{R}$ considéré comme un $\mathbb{R}$-espace vectoriel.
Soit l’application $f$ définie par : $\forall x\in \mathbb{R},\ f(x)=x^2$.
Montrer que $f$ est une application linéaire.
Nous avons : $f(2)=2^2=4$ et $f(3\cdot 2)=f(6)=6^2=36$ et $3\cdot f(2)=3\cdot 4=12$.
Donc, $f(3\cdot 2)\ne 3\cdot f(2)$.
Nous avons ainsi montré que $f$ n’est pas une application linéaire.
$E=F=\mathbb{R}[X]$ considéré comme un $\mathbb{R}$-espace vectoriel avec les lois usuelles.
Soit l’application $f$ définie par : $f(P)=P’$.
Montrer que $f$ est une application linéaire.
- Soient $P$ et $Q$ deux vecteurs (éléments) de $\mathbb{R}[X]$.\[f(P+Q)=(P+Q)’=P’+Q’=f(P)+f(Q)\]
- Soit $P$ un vecteur (élément) de $\mathbb{R}[X]$ et soit $\alpha$ un scalaire (élément de $\mathbb{R}$).\[f(\alpha P)=(\alpha P)’=\alpha P’=\alpha f(P)\]
Ainsi, nous venons de démontrer que $f$ est une application linéaire.
Montrons que l’application $T$ suivante est linéaire : $T(x,y)=(2x,x+y)$.
- Montrons d’abord que $T$ conserve l’addition.
Soient $(x_1+y_1)$ et $(x_2+y_2)$ éléments de $\mathbb{R}^2$. Ainsi :\[\begin{align*}T\bigl((x_1y_1)+(x_2,y_2)\bigr)&=T(x_1+x_2+y_1+y_2) &&\text{par l’addition de vecteurs} \\&=(2x_1+2x_2,x_1+x_2+y_1+y_2) &&\text{par la définition de $T$} \\&=(2x_1,x_1+y_1)+(2x_2,x_2+y_2) &&\text{par la définition de vecteurs} \\&=T(x_1y_1)+T(x_2,y_2) &&\text{par la définition de $T$} \\\end{align*}\]Ainsi, $T$ conserve l’addition des vecteurs.- Maintenant, montrons que $T$ conserve la multiplication par un scalaire.
Soit $c$ un scalaire.\[\begin{align*}T\bigl(c(x_1y_1)\bigr)&=T(cx_1,cy_1) &&\text{avec la multiplication d’un vecteur par un scalaire} \\&=(2cx_1,cx_1+cy_1) &&\text{avec la définition de $T$} \\&=c(2x_1,x_1+y_1) &&\text{avec la multiplication d’un vecteur par un scalaire} \\&=cT(x_1,y_1) \\\end{align*}\]Par conséquent, $T$ conserve la multiplication par un scalaire.Nous avons donc montré que $T$ est linéaire.
L’ensemble des applications linéaires de $E$ dans $F$ est noté $\mathscr{L}(E,F)$.
En général, il est assez facile de démontrer qu’une application est ou n’est pas linéaire.
Pour démontrer qu’elle est linéaire, au lieu de démontrer les deux conditions de la définition, nous pouvons effectuer uniquement la vérification suivante :\[\forall (u,v)\in E^2,\ \forall (\alpha,\beta )\in \mathbb{K}^2,\ f(\alpha u+\beta v)=\alpha f(u)+\beta f(v)\]Nous pouvons également faire uniquement la vérification suivante :\[\forall (u,v)\in E^2,\ \forall \lambda \in \mathbb{K},\ f(u+\lambda v)=f(u)+\lambda f(v)\]
Laissée au lecteur, sans difficulté.
Une application linéaire est aussi appelée morphisme d’espaces vectoriels.
Cas particuliers :
- Lorsque $f$ est bijectif, $f$ est un isomorphisme de $E$ dans $F$.
- Lorsque $E=F$, $f$ est un endomorphisme.
- Lorsque $E=F$ et $f$ est bijectif, $f$ est un automorphisme de $E$.
- Lorsque $F=\mathbb{K}$, $f$ est une forme linéaire.
- Soit $f:\mathbb{R}^2\to\mathbb{R}_1[X]$ définie par $f\bigl((a,b)\bigr)=aX+b$.
$f$ est un isomorphisme de $\mathbb{R}^2$ dans $\mathbb{R}_1[X]$. - Soit $f:\mathbb{R}[X]\to \mathbb{R}[X]$ définie par $f(P)=P’$.
$f$ est un endomorphisme de $\mathbb{R}[X]$. - Soit $f:\mathbb{R}^2\to \mathbb{R}^2$ définie par $f((a,b))=(a+b,a-b)$.
$f$ est un automorphisme de $\mathbb{R}^2$. - Soit $I:C^1\bigl([a,b]\bigr)\to \mathbb{R}$ définie par $I(f)=\int_a^b{f(x)dx}$.
$f$ est une forme linéaire.
L’ensemble des endomorphismes de $E$ est noté $\End(E)$ ou $\mathscr{L}(E)$.
Soit $f$ une application linéaire de $E$ dans $F$.
- $f(0_E)=0_F$
- $\forall (k_1,\ldots,k_n)\in \mathbb{K}^n,\ \forall (u_1,\ldots,u_n)\in E^n,\ f\left(\sum\limits_{i=1}^{n}{k_iu_i}\right)=\sum\limits_{i=1}^{n}k_if(u_i)$
- Nous avons d’une part $f(2\cdot 0_E)=f(0_E)$ et $f(2\cdot 0_E)=2\cdot f(0_E)$.
Donc, $f(0_E)=2\cdot f(0_E)$ et nous en déduisons que $f(0_E)=0_F$.- Une démonstration par récurrence donne le résultat.
Soit $f$ une application de $E$ dans $F$ telle que $f(0_E)\ne 0_F$.
Alors, nous pouvons conclure que $f$ n’est pas une application linéaire.
Soit $f$ l’application définie de $\mathbb{R}^2$ dans $\mathbb{R}^3$ par :\[f\bigl((x,y)\bigr)=(x+1, y, y+z)\]Nous avons : $f\bigl((0,0)\bigr)=(1,0,0)$. Donc, $f(0_{\mathbb{R}^2})\ne 0_{\mathbb{R}^3}$.
Nous en déduisons que $f$ n’est pas une application linéaire.
Soit $\mathbb{R}_n$ l’espace vectoriel des polynomiales réels de degré inférieur à $n$.
Montrons que l’application $T$ : $\mathbb{R}_2[X]\to \mathbb{R}_1[X]$ définie par $T(ax^2+bx+c)=(a+b)x+c$ est linéaire.
Soient $ax^2+bx+c$ et $px^2+qx+r$ éléments quelconques de $\mathbb{R}_2[X]$. Alors :\[\begin{align*}&T\bigl((ax^2+bx+c))+(px^2+qx+r)\bigr) \\&=T(\bigl(a+p)x^2+(b+q)x+(c+r)\bigr) &&\text{avec l’addition vectorielle} \\ &=(a+p+b+q)x+(c+r) &&\text{avec la définition de $T$} \\ &=(a+b)x+c+(p+q)x+r \\ &=T(ax^2+bx+c)+T(px²+qx+r) &&\text{avec la définition de $T$} \\ \end{align*}\]Par conséquent, $T$ conserve l’addition.
Maintenant, démontrons que $T$ conserve la multiplication par un scalaire $k$.\[\begin{align*}T\bigl(k(ax^2+kbx+kc)\bigr)&=T(kax^2+kbx+kc) &&\text{avec la multiplication par un scalaire} \\ &=(ka+kb)x+kc &&\text{avec la définition de $T$} \\ &=k\bigl((a+b)x+c\bigr) \\ &=kT(a{x^2}+bx+c) &&\text{avec la définition de $T$} \\ \end{align*}\]$T$ conserve la multiplication par un scalaire.
Donc, $T$ est une transformation linéaire.
Soit $D$ l’opération de dérivation ($D$ a le même sens que $\dfrac{\mathrm{d}}{\mathrm{d}x}$, mais la notation $D$ sera plus adéquate dans ce contexte).
$D$ peut être interprétée comme une transformation de $\mathbb{R}_n$ dans lui-même.
Par exemple, $D(4x^3-3x^2+2x+1)=12x^2-6x+2$.
$D$ convertit l’élément $4x^3-3x^2+2x+1$ de $\mathbb{R}_3[X]$ en l’élément $12x^2-6x+2$ de $\mathbb{R}_3[X]$
Montrons que $D$ est un opérateur linéaire de $\mathbb{R}_n$ (une application linéaire d’un espace vectoriel dans lui-même).
Soient $f$ et $g$ des éléments de $\mathbb{R}_n$ et $c$ un scalaire.
Les propriétés de la dérivée suivantes impliquent que $D$ est un opérateur linéaire.\[\begin{align*}D(f+g)&=Df+Dg \\ D(cf)&=cD(f) \\ \end{align*}\]
L’application nulle.
Soient $E$ et $F$ des espaces vectoriels et soit $T$ l’application $T:E\to F$ définie par : $\forall v\in E,\ T(v)=0_F$.
S’agit-il d’une application linéaire ?
$T$ est effectivement une application linéaire. En effet :
- $T(v_1+v_2)=0_F+0_F=T(v_1)+T(v_2)$.
- $T(\alpha v)=\alpha 0_F=\alpha T(v)$.
Ainsi, la transformation nulle est linéaire.
L’application identité.
Soit $E$ un espace vectoriel. $I$ est l’application de $E$ dans $E$ définie par : $\forall v\in E,\ I(v)=v$.
S’agit-il d’une application linéaire ?
$I$ est effectivement une application linéaire. En effet :
- Pour tout éléments $v_1$ et $v_2$ de E, $I(v_1+v_2)=v_1+v_2=I(v_1)+I(v_2)$.
- Pour tout élément $v$ de $E$ et tout scalaire $\alpha$, $I(\alpha v)=\alpha v=\alpha I(v)$.